Le maréchal Foch avait dit « Parce qu’un homme sans mémoire est un homme sans vie, un peuple sans mémoire est un peuple sans avenir ». Le journaliste camerounais Alain Foka renchérissait « Un peuple sans histoire est un monde sans âme ».
Construire le colisée dans l’enceinte même du Rovan’ Antananarivo et vouloir le débaptiser en Rovan’i Madagasikara ? Essayer de faire oublier Mahamasina en érigeant le stade Barea ? Construire un monument Aloalo ou Croix de 80 mètres de haut ?
Cette volonté d’effacer une page de l’Histoire du peuple Malagasy, traduit la vacuité du slogan de Cédric Vazaha « Madagasikara tsy maintsy mandroso » (Madagascar se développera). Cédric Vazaha ne fait que continuer « la tentative des colonisateurs français d’annihiler ce qui faisait l’identité des peuples colonisés ».
Nous reproduisons ci-après un article de Lalatiana PitchBoule paru dans le journal en ligne Madagascar Tribune, un article de fond qui est peut-être un début d’explication de l’inexorable descente aux enfers du peuple malagasy :
https://www.madagascar-tribune.com/Les-chroniques-de-Ragidro-Identite-28719.html
Identité, culture et développement : (re)trouver un nationalisme progressiste
samedi 10 février | Lalatiana Pitchboule
Peut-il de fait y avoir stabilité sans unité ? Peut-il y avoir unité sans identité forte ? On associe directement ici les logiques de développement aux logiques d’identité et de fait aux logiques culturelles. Il serait intéressant de creuser le débat pour fixer les enjeux d’une culture forte qui caractériserait aujourd’hui les différences des niveaux de développement de différentes nations.
On a beau jeu de dire aujourd’hui que l’héritage colonial, qui nous a légué des administrations et des systèmes juridiques aliénés et inadaptés, serait la cause de notre déficit de démocratie et de notre incapacité à engager des politiques de développement inclusives. Cette lecture s’avère cependant incomplète.
La colonisation n’a bien entendu pas été un moment positif dans l’histoire de nos nations. Cette colonisation, fondée sur la vision hypocrite et aberrante d’une mission prétendument civilisatrice, faisait dire à Victor Hugo à propos de la conquête de l’Algérie « C’est la civilisation qui marche contre la barbarie. C’est un peuple éclairé qui va trouver un peuple dans la nuit ».
On a pu ainsi tenter de légitimer l’aberration de l’acte colonial par les progrès techniques introduits ou par les infrastructures développées. Mais au-delà de la dimension profondément choquante de ces énoncés de Victor Hugo ou de Jules Ferry [1], il faut garder en mémoire le truisme de deux traits majeurs du fait colonial. Le premier trait du fait colonial est évidemment la spoliation des terres et des biens par le colonisateur. Le deuxième trait est bien plus grave : il s’agit de la négation si ce n’est la tentative d’annihilation de ce qui faisait l’identité des peuples colonisés, trait en particulier du projet colonial français…
Quand les religions traditionnelles sont reléguées au rang de superstitions, et les traditions réduites à du folklore, c’est la culture et, de fait, l’identité même des peuples qui sont récusées.
Soljenitsyne énonçait « Les allemands et les russes se sont redressés plus facilement après la chute de leur totalitarisme que les pays colonisés à la fin de la colonisation ». Pourquoi ? Parce que l’identité culturelle des russes et des allemands n’avait pas été niée sous leur totalitarisme. Elle avait au contraire été exaltée par un nationalisme exacerbé.
De la même manière, on pourrait se demander pourquoi le Vietnam qui a vécu une succession de dominations étrangères, connait aujourd’hui des taux de croissance et d’industrialisation qui le mettent au rang des grandes puissances asiatiques. Le Vietnam avait pourtant supporté une influence coloniale extrêmement forte avec en particulier une romanisation de l’écriture du vietnamien (codifiée par des français) et une langue française qui est restée longtemps la langue première de l’éducation. La réponse est dans l’existence d’une culture millénaire qui a forgé une identité qu’il n’était pas possible d’aliéner. Cette identité consolidée par ailleurs par des guerres de libération et une guerre civile des plus violentes a forgé l’unité de cette nation qui sera bientôt l’un des tigres d’Asie.
Madagascar souffre peut-être de la jeunesse de son histoire face à ces nations à la civilisation millénaire. Cette jeunesse de l’histoire malgache, marquée par un impérialisme Merina qui n’a pas abouti, freiné « trop tôt » dans son développement par le colonisateur, n’a pas permis de créer ce roman national, de forger cette culture identitaire forte qui aurait permis de ne pas subir l’aliénation qui lui a été imposée par la période coloniale.
Pourquoi ce roman national n’a-t-il jamais suffi pour bâtir cette identité et ce projet collectif où tous les acteurs de la nation ne devraient agir que dans le sens de la préservation des Communs au lieu de laisser une nomenclature prédatrice s’accaparer le pouvoir et assurer SANS la moindre redistribution le pillage des richesses ?
Peut-il de fait y avoir stabilité sans unité ? Peut-il y avoir unité sans identité forte ? On associe directement ici les logiques de développement aux logiques d’identité et de fait aux logiques culturelles. Il serait intéressant de creuser le débat pour fixer les enjeux d’une culture forte qui caractériserait aujourd’hui les différences des niveaux de développement de différentes nations.
Un ami me proposait il y a peu de plancher sur les différences de croissance des pays qui ont accédé à l’indépendance dans les années 60. Une différenciation entre anciennes colonies britanniques et anciennes colonies françaises caractérise un fait : les deux visions coloniales, Britannique et Française, s’opposent. Quand le colonisateur français prônait l’assimilation (donc la négation de la culture et de l’identité vernaculaires) le Britannique avait tendance à maintenir les coutumes et les systèmes sociaux locaux, en particulier parce qu’ils permettaient, de manière pragmatique, de mieux contrôler et exercer la domination coloniale qui s’appuyait sur eux. Ne serait-ce pas pour cela que les anciennes colonies britanniques s’en sortent aujourd’hui mieux ?
Les dix-huit anciennes colonies françaises en Afrique subsaharienne qui ont accédé à l’indépendance dans les années 60s ont connu à ce jour soixante coups d’Etat (réussis) soit une moyenne de 3,38 coups d’Etat par nation. Au regard de cela, les seize colonies britanniques n’ont a contrario connu « QUE » trente coups d’Etat soit une moyenne de 1,87 coups d’Etat … Et encore, si on exclut de cette liste de colonies britanniques le Togo, le Nigeria et la Sierra Leone, qui ont vécu à eux seuls un total de douze coups d’Etat, le nombre de renversements de pouvoirs dans les colonies britanniques ne serait « QUE » de dix-huit , soit une moyenne de 1,38 … Il y a là, quoi qu’il en soit, illustration d’une instabilité patente. Mais au regard de ces ratios comparés, peut-on encore, dans ce cadre, s’étonner que les pays issus de la colonisation britannique s’en sortent mieux que les anciennes colonies françaises ?
Quant à Madagascar, après une période post indépendance, qui aurait pu/du valoriser son unité nationale, on doit faire le constat de l’échec d’une intégration nationale qui avait été entamée au xixe siècle à partir du projet merina. On avait pourtant là les éléments d’un roman national : une langue globalement partagée, un territoire délimité, une culture, des insurrections et même une révolte ( l’insurrection de 47 ) qui auraient dû participer de la construction d’une identité nationale malagasy, mais qui n’a jamais été assez forte.
Pourquoi ce roman national n’a-t-il jamais suffi pour bâtir cette identité et ce projet collectif où tous les acteurs de la nation ne devraient agir que dans le sens de la préservation des Communs au lieu de laisser une nomenclature prédatrice s’accaparer le pouvoir et assurer SANS la moindre redistribution le pillage des richesses ? Il est vrai que, dans la situation actuelle et l’état de ses infrastructures, il est impossible de promouvoir l’intégration entre les différents territoires de la Grande Ile et d’entretenir l’intégrité nationale.
C’est ici que pêche de manière dramatique le gouvernement actuel … par manque de vision, de courage politique et (peut-être) de moyens. Au-delà des évidentes et nécessaires priorités de lutte contre la pauvreté et de satisfaction des enjeux de survie de la population, la préoccupation première ne devrait pas être la construction de piscines olympiques ou de téléphériques, mais bien la consolidation de ce qui fait une nation…
Quand François Mitterrand (qu’on me pardonne cette référence encore à l’ancien colonisateur) construit la Pyramide du Louvre et la Grande Bibliothèque, quand Jacques Chirac bâtit le musée Branly, ou Georges Pompidou le centre Beaubourg, signifiant l’enjeu de la culture et de la connaissance pour la consolidation du récit national et de ses emblèmes, on ne se préoccupe chez nous que de construire des colisées, des stades, des piscines olympiques ou des musées à la gloire du dirigeant Andry Rajoelina Cedric 1er.
L’érection du complexe du Rova d’Andrianampoinimerina, Radama et Ranavalona au point culminant de la colline Analamanga, répondait bien, dans leur esprit, à cet enjeu de symboliser un lieu de pouvoir central fort et visible de partout. Ratsiraka avait bâti Iavoloha qui répondait lui aussi, dans son architecture et sa dimension, à un enjeu symbolique. Mais déplacer à l’extérieur de la Capitale le centre du pouvoir ne s’avérait pas anodin a contrario sur le plan allégorique… « A nos actes manqués … »
D’autant que la faible portée architecturale symbolique des bâtiments officiels (Assemblée, Sénat), qu’on aura du mal à rattacher au patrimoine culturel du pays, ne peut pas être élément de consolidation d’un roman national. L’incendie du palais royal de Manjakamiadana et sa reconstruction (qui aurait dû donner lieu à une vraie mobilisation) malheureusement réalisée en béton à la place du bois et de la pierre – ce qui par ailleurs dénote du peu d’intérêt et d’investissements que l’on a pu consacrer à cet élément essentiel du patrimoine et de notre histoire – et la pollution du site par un anachronique Colisée, lui aussi en béton, n’ont certainement pas participé à la consolidation de ce nécessaire récit national… Récit qui de toutes façons n’est pas porté par un système éducatif qui s’avère des plus défaillants.
L’argument est là… La tâche de (re)construction du pays est titanesque. Pour espérer la réaliser, il est indispensable que les individualités et les individualismes s’effacent autant que faire se peut pour mobiliser toutes les forces de la nation dans le sens de la construction et de la défense des Communs.
Cela peut-il s’envisager sans un projet de riche consolidation de notre identité et de notre culture. [2] ? Il est dans ce sens urgent de faire naître un nationalisme, non de repli, mais un nationalisme de progrès. Et une vision bâtie sur les initiatives clinquantes d’un dirigeant qui ne se préoccupe que de son image et de sa communication et qui, de surcroit, a quelque peu renié son identité, ne fera pas, à mon avis, renaître ce nécessaire nationalisme progressiste.
Patrick Rakotomalala (Lalatiana PitchBoule) – Février 2024
Notes
[1] Les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures. […] Je répète qu’il y a pour les races supérieures un droit, parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures (Jules Ferry)
[2] Je vois certains se gausser de ce discours de la part de l’acculturé diasporique que je suis, ce que j’assume pleinement.