Sous le pseudo ILAIBALODA, une tribune libre parue dans le journal en ligne Madagascar Tribune a attiré notre attention. Un véritable cour magistral de droit constitutionnel qui nous donne un peu de baume au cœur : il y a encore d’excellents juristes malagasy qui n’ont rien à envier aux grands juristes étrangers, dont des Africains. N’en font malheureusement pas partie nos soi-disant Hauts Conseillers, qui devraient réviser les bases du droit constitutionnel.
ILAIBALODA est loin du BALOURD, il faut plutôt lire Ilay Badolahy (le naïf ou le nigaud).
L’article paru en 3 parties, dont les liens sont ci-après, vaut le détour même pour un profane. « Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement, et les mots pour le dire arrivent aisément », écrivait Boileau.
Impéritie ou sélectivité d’approche : le rôle de la Haute Cour Constitutionnelle en question
https://www.madagascar-tribune.com/Imperitie-ou-selectivite-d-approche-le-role-de-la-Haute-Cour-Constitutionnelle.html
https://www.madagascar-tribune.com/Imperitie-ou-selectivite-d-approche-le-role-de-la-Haute-Cour-Constitutionnelle-28766.html
https://www.madagascar-tribune.com/Imperitie-ou-selectivite-d-approche-le-role-de-la-Haute-Cour-Constitutionnelle-28767.html
http://www.hcc.gov.mg/?p=8876 La décision HCC visée
La décision n°01-HCC/D2 du 22 février 2024 : une remise en cause du rôle de la Haute Cour Constitutionnelle en tant que garant du « principe de non-régression des valeurs constitutionnelles et du non-retour sur l’acquis juridique de l’Etat de droit démocratique » ?
La Décision n°01-HCC/D2 du 22 février 2024 marque un tournant significatif dans la protection des droits constitutionnellement garantis par la Haute Cour Constitutionnelle. Cette décision se rapporte à une exception d’inconstitutionnalité évoquée par le député Fetra Ralaizafimbololona, président du groupe parlementaire du TIM à l’Assemblée nationale, auprès du tribunal de première instance d’Antananarivo, que le président de cette juridiction a transmise à la Haute Cour Constitutionnelle, conformément aux dispositions de l’article 118 de la Constitution du 11 décembre 2010. Arrêté, le 8 novembre 2023, lors d’une manifestation du Collectif des candidats opposé à la tenue de l’élection présidentielle du 16 novembre 2023, le député du Vème arrondissement d’Antananarivo est inculpé et attrait devant le tribunal correctionnel d’Antananarivo pour « incitation de la population à des manifestations sans autorisation ». Le député y oppose son immunité parlementaire, garanti par l’article 73 de la Constitution.
La Haute Cour Constitutionnelle, dans sa décision, se fonde sur la nature de l’acte contesté pour déclarer l’exception irrecevable, soulignant que seules les dispositions législatives ou réglementaires peuvent faire l’objet d’une telle exception. Elle considère que l’acte de procédure contesté, relevant des articles 206 et 207 du Code de procédure pénale, revêt un caractère juridictionnel et ne rentre pas dans la catégorie d’actes pouvant être déférés devant elle. Cependant, cette décision interpelle et soulève des questionnements essentiels.
Il est, tout d’abord, à constater que la Haute Cour Constitutionnelle conclut à une irrecevabilité de l’exception d’inconstitutionnalité, formulée par le Président du Tribunal de Première Instance d’Antananarivo. Cependant, l’analyse des considérants de la décision révèle une potentielle confusion dans l’approche de la Haute Cour Constitutionnelle. Cette dernière semble mêler les principes relatifs à sa compétence pour connaître du litige qui lui est soumis et ceux concernant la recevabilité de la demande d’exception d’inconstitutionnalité. Cette situation soulève une question : serait-ce une erreur d’appréciation méthodologique, une lacune dans la catégorisation juridique, ou une fragilité dans la pratique juridictionnelle de la Haute Cour Constitutionnelle ? Ce questionnement met en lumière une problématique clé de l’interprétation juridictionnelle, où la distinction entre compétence et recevabilité doit être claire est sans ambiguïté pour garantir la justesse du raisonnement juridique.
Par ailleurs, l’application sélective des dispositions de l’article 118 de la Constitution, en particulier l’accent mis exclusivement sur l’alinéa 3 au détriment de l’alinéa 2, interpelle. Cette approche soulève des interrogations légitimes sur la compréhension et l’interprétation des textes constitutionnels par la Haute Cour : s’agit-il d’une méconnaissance de l’énoncé constitutionnel ou d’une volonté délibérée de la Haute Cour de déconstruire sa jurisprudence établie en matière d’exception d’inconstitutionnalité ? Historiquement, cette jurisprudence reconnaît, de manière constante, que les actes de procédure judiciaire peuvent faire l’objet d’une exception d’inconstitutionnalité.
Enfin, « l’apparentement » par la Haute Cour Constitutionnelle de la demande d’exception d’inconstitutionnalité à un avis d’interprétation d’une disposition constitutionnelle, qui relève d’une disposition particulière de la Constitution (article 119), mérite une attention particulière. Cette assimilation, pour mieux disqualifier la première, pose la question de savoir si elle constitue une ruse argumentative ou témoigne d’une incompréhension de l’office du juge constitutionnel, lequel repose essentiellement sur l’interprétation constitutionnelle ? Cette assimilation par la Haute Cour Constitutionnelle de la demande d’exception d’inconstitutionnalité à un avis d’interprétation d’une disposition constitutionnelle, si elle est avérée, soulèverait des questions importantes sur la compréhension de la Haute Cour de son rôle constitutionnel et de ses fonctions. La distinction entre une exception d’inconstitutionnalité et un avis d’interprétation est centrale dans la pratique du droit constitutionnel et sa mécompréhension pourrait avoir des implications significatives sur l’interprétation et l’application du droit constitutionnel.
- Confusion de la compétence et de la recevabilité : carence méthodologique ou fragilité de la pratique judiciaire de la Haute Cour Constitutionnelle
Dans un procès, quel qu’il soit, la chaîne procédurale ou la chaîne contentieuse, désignant l’ensemble des étapes et des règles qui régissent le déroulement d’une instance judiciaire, depuis l’introduction de la demande jusqu’à la décision finale, s’organise selon un ordre logique et juridique spécifique autour de trois temps bien définis. Cette chaîne inclut plusieurs maillons selon un ordre séquentiels où, la validité de chaque maillon dépend de celle du maillon précédent. Dans le contentieux constitutionnel, l’ordre de de la chaine procédurale de droit commun s’applique avec la même rigueur, prévoyant une succession, compétence de la juridiction, recevabilité de la demande, puis décision au fond, bien que les critères spécifiques et le processus peuvent différer quelque peu par rapport au contentieux ordinaire. La première étape consiste à déterminer les habilitations que la Constitution et la législation relative à la juridiction constitutionnelle lui confère pour entendre une affaire. Une fois la compétence établie, la juridiction constitutionnelle examine la recevabilité de la demande qui . Dans le contentieux constitutionnel, cela peut inclure des questions spécifiques telles que la légitimité du requérant à saisir la cour ou si les conditions procédurales et formelles sont remplies. La non-recevabilité peut conduire au rejet de la demande sans examen au fond. Si la demande est recevable, la cour procède à l’examen au fond de l’affaire.
En droit constitutionnel malgache, en matière d’exception d’inconstitutionnalité, les conditions de compétence procèdent des habilitations telles qu’elles sont définies par les dispositions de la Constitution ; mais elles découlent aussi de l’interprétation que la Haute Cour Constitutionnelle a commise de ces mêmes dispositions. Les critères d’attribution de compétence à la Haute Cour tiennent à la nature de l’acte juridique contesté, celui-ci devant relever d’un acte législatif ou règlementaire selon l’article 118 alinéa 3 de la Constitution ; que la jurisprudence constante de la Haute Cour élargit aux actes de procédure judiciaire (Décision n°01-HCC/D2 du 5 février 1991, Affaire Ravaloson Seth ).
Les conditions de recevabilité, quant à elles, sont énoncées à la fois dans les dispositions de la Constitution (article 118 alinéas 2 et 3), et celles de l’ordonnance n°2001-003 du 18 novembre 2001 portant Loi organique relative à la Haute Cour Constitutionnelle (article 39). De manière générale, elles prévoient des conditions « externes » et « internes » qui sont cumulatives. Les conditions « externes » sont au nombre de deux, et sont complémentaires. Pour admettre la recevabilité de l’exception d’inconstitutionnalité, la procédure doit être soulevée devant une juridiction de droit commun, par une partie au procès (Décision n°01-HCC/D2 du 7 avril 2004 relative à une requête en exception d’inconstitutionnalité de dispositions de la loi n°98-005 du 19 février 1999 instituant une section de la Chambre commerciale et une procédure particulière pour le recouvrement de certaines créances des banques nationales). Des conditions « internes » de recevabilité s’ajoutent à ces premières conditions, définies par les dispositions de l’article 39 de l’ordonnance n°2001-003 du 18 novembre 2001 [1]. Elles soulignent que la recevabilité de l’exception d’inconstitutionnalité dépend également d’éléments spécifiques à celle-ci : elle doit « être appuyée de faits ou titres lui donnant un fondement suffisant. » A ce titre, la Haute Cour Constitutionnelle souligne un critère d’applicabilité de la disposition objet de l’exception d’inconstitutionnalité au litige. La contestation ne peut porter que sur la constitutionnalité de la disposition pertinente au litige et nécessaire à son règlement. Elle doit viser seulement la disposition qui est à l’origine du procès de droit commun, et dont, pour cette raison, il est indispensable de vérifier la constitutionnalité (Décision n° 04-HCC/D2 du 4 novembre 2009 relative à une requête en exception d’inconstitutionnalité de l’ordonnance n°2009-003 du 18 mars 2009 portant suspension du Parlement, Affaire Rabenorolahy Benjamin). Le respect des délais de saisine de la Haute Cour Constitutionnelle pour l’exception d’inconstitutionnalité, figure aussi parmi les conditions « internes » de recevabilité (Décision n°01-HCC/D2 du 13 juillet 2005 relative à une requête en exception d’inconstitutionnalité d’un procès-verbal d’enquête préliminaire.)
A l’étude de la décision n°01-HCC/D2 du 22 février 2024, il est constaté que la Haute Cour Constitutionnelle se fonde sur la nature de l’acte contesté pour déclarer l’exception irrecevable, soulignant que seules les dispositions législatives ou réglementaires peuvent faire l’objet d’une telle exception. Elle considère que l’acte de procédure contesté, relevant des articles 206 et 207 du Code de procédure pénale, revêt un caractère juridictionnel et ne rentre pas dans la catégorie d’actes pouvant être déférés devant elle. Sans pour autant aborder explicitement la question de sa compétence, la Haute Cour Constitutionnelle prononce l’irrecevabilité de l’exception d’inconstitutionnalité soulevée. Les motifs de l’irrecevabilité sur lesquels la Haute cour fonde sa décision, ne relèvent pas des conditions externes et internes de la recevabilité. La Haute cour s’appuie plutôt sur la nature de l’acte contesté pour fonder sa décision d’irrecevabilité. Elle souligne notamment que « l’acte de procédure mettant en œuvre les dispositions des articles 206 et 207 du Code de procédure pénale revêt un caractère juridictionnel ne rentrant pas dans la catégorie d’actes pouvant être déférés devant la Haute Cour Constitutionnelle, car seuls, les dispositions législatives ou réglementaires » peuvent faire l’objet d’une exception d’inconstitutionnalité. Le critère retenu par la Haute Cour Constitutionnelle pour conclure à l’irrecevabilité, relève des conditions de compétence et non de recevabilité. La Haute Cour Constitutionnelle prononce l’irrecevabilité de l’exception d’inconstitutionnalité, en se fondant sur des critères de compétence.
En effet, la Haute Cour semble s’être focalisée sur la nature de l’acte contesté pour conclure à l’irrecevabilité de l’exception d’inconstitutionnalité, ce qui relève plutôt des conditions de compétence que de recevabilité. De plus, la Haute Cour ne semble pas respecter le principe de séquentialité procédurale en ne tranchant pas la question de la compétence avant de se prononcer sur la recevabilité. Cette approche pourrait être interprétée comme une confusion entre compétence et recevabilité, ce qui est problématique d’un point de vue procédural et juridique. La décision de la Haute Cour, en se concentrant sur la nature de l’acte contesté plutôt que sur ces conditions de recevabilité, soulève des questions sur l’adhésion aux principes de procédure constitutionnelle et pourrait être vue comme un manquement aux normes juridiques établies en matière d’examen des exceptions d’inconstitutionnalité.
Notes
[1] Il conviendrait de relever que les modifications apportées à l’article 118 alinéa 2 et 3 de la Constitution ont rendu inopérants plusieurs volets de l’article 39 de l’ordonnance n°2001-003 du 18 novembre 2001 portant Loi organique relative à la Haute Cour Constitutionnelle, en particulier en ce qui concerne les modalités de saisine de la Haute Cour Constitutionnelle par le requérant et les conditions de délais qui y sont prévues. Toutefois, en l’absence d’un texte législatif plus en cohérence avec les dispositions de la Constitution, les dispositions de l’ordonnance qui sont conformes à la Constitution continuent de s’appliquer.
- Sélectivité de l’approche : méconnaissance de l’énoncé constitutionnel ou volonté d’une déconstruction de la jurisprudence de la Haute Cour Constitutionnelle
L’exception d’inconstitutionnalité apparaît pour la première fois, en droit malgache, à travers l’article 94 de la Constitution du 31 décembre 1975 qui prescrit que, « si devant une juridiction quelconque, une partie soulève une exception d’inconstitutionnalité, cette juridiction sursoit à statuer et lui impartit un délai d’un mois pour saisir la Haute Cour Constitutionnelle qui doit statuer dans le délai le plus bref. » La Loi électorale n°98-001 du 8 avril 1998 portant révision de la Constitution, élargit son champ d’application à deux cas de figure, dans son article 122 alinéas 2 et 3. En dépit des vicissitudes de l’écriture de la Constitution, ces deux alinéas sont demeurés pour être repris, à quelques mots près, par les dispositions des alinéas 2 et 3 de l’article 118 de la Constitution du 11 décembre 2010. Le temps et la pratique constante de l’exception d’inconstitutionnalité, bien que peu connue des justiciables, ont contribué à la fabrique et à l’établissement d’une véritable jurisprudence, reconnue et respectée de cette procédure d’exception que la Décision n°01-HCC/D2 du 22 février 2024 bouscule, en la limitant aussi bien dans son énonciation que dans sa portée.
Depuis que le droit malgache a réceptionné la procédure de l’exception d’inconstitutionnalité, le champ d’application qui lui est assigné est extrêmement vaste. Sous l’ère de la Constitution actuelle, les contours de ce champ sont définis par l’article 118 alinéas 2 et 3. Selon ceux-ci, il est indiqué que, « Si, devant une juridiction, une partie soulève une exception d’inconstitutionnalité, cette juridiction sursoit à statuer et saisit la Haute Cour Constitutionnelle qui statue dans le délai d’un mois.
De même, si devant juridiction, une partie soutient qu’une disposition de texte législatif ou réglementaire porte atteinte à ses droits fondamentaux reconnus par la Constitution, cette juridiction sursoit à statuer dans les mêmes conditions qu’à l’alinéa précédent. »
La rédaction de ces deux alinéas débute par la conjonction de subordination « si », qui introduit, pour chaque alinéa, une proposition subordonnée circonstancielle d’hypothèse. Celle-ci confère aux deux cas de figure qu’ils organisent indépendamment, la même valeur hypothétique. Les deux situations prévues par les deux alinéas de l’article 118 cohabitent ainsi dans un même champ, sans que l’un ou l’autre cas de figure soit privilégié ou aurait une ascendance sur l’autre. Ce que la Haute Cour Constitutionnelle ne fait pas dans sa Décision du 22 février 2024. Contrairement à la structure lexicale des deux alinéas, elle privilégie le troisième alinéa, et ignore le deuxième. Dès lors, souligne la Haute Cour, « l’exception d’inconstitutionnalité constitue ainsi pour le juge du procès une question préjudicielle ; qu’elle est le droit reconnu à toute personne, physique ou morale, qui est partie à un procès de soutenir qu’une disposition législative ou réglementaire n’est pas conforme à la Constitution ou porte atteinte aux droits et libertés que la loi fondamentale garantit (…) »(3ème considérant). Seule l’hypothèse prévue à l’alinéa 3 est prise en considération. L’exception d’inconstitutionnalité ne peut concerner que les actes de nature législative ou règlementaire qui ne seraient pas conforme à la Constitution ou qui violeraient les droits et libertés fondamentaux.
Cette définition du champ d’application de l’exception d’inconstitutionnalité effectuée par la Haute Cour Constitutionnelle, et limitée à un seul volet de ses possibilités, ne traduit pas la volonté du constituant ainsi que la réalité de la jurisprudence de la Haute Cour Constitutionnelle, à un double titre.
Tout d’abord, rien ne justifie la mise à l’écart de l’alinéa 2 de l’article 118 de la Constitution. Aux termes de cet alinéa, le constituant ne pose aucune condition quant à la nature, ni au statut de l’acte pouvant faire l’objet d’une exception d’inconstitutionnalité. Sur ce fondement, présent dans toutes les constitutions depuis 1975, la Haute Cour Constitutionnelle a reconnu que tous les actes juridiques, de portée générale ou individuelle pouvant interférer dans la résolution d’un litige pendant devant une juridiction, peut faire l’objet d’une exception d’inconstitutionnalité. Le principe est affirmé par la Haute Cour Constitutionnelle dès la Décision n°05-HCC/D du 19 février 1985, Affaire Robinson Edmond. La Haute Cour Constitutionnelle y souligne que, « le contrôle de constitutionnalité ne se cantonne pas à la limitation formelle de l’article 88 de la Constitution (de 1975, à savoir aux lois, aux ordonnances et aux règlements autonomes), mais la censure de tous les autres actes de nature à porter atteinte aux droits et libertés fondamentales garantis par la constitution, relève implicitement mais nécessairement de la compétence de la Haute Cour Constitutionnelle. »
La Haute Cour Constitutionnelle développera, par la suite, une jurisprudence relativement fournie, pour préciser les autres actes juridiques pouvant faire l’objet d’une exception d’inconstitutionnalité, dont les actes de procédure judiciaire. C’est le cas :
- d’un acte de procédure judiciaire exécuté à l’endroit d’un individu, notamment d’une réquisition sans ordre écrit (Décision n°01-HCC/D2 du 5 février 1991, Affaire Ravaloson Seth) ;
- de l’interdiction faite à un avocat d’assister son client au niveau de l’enquête préliminaire (Décisionn°06-HCC/D2 du 23 novembre 1992, Affaire Rakotoarimanana) ;
- d’une « décision juridictionnelle devenue définitive quand elle porte atteinte à l’exercice d’un droit fondamental », il s’agit, en l’occurrence de l’arrêt n°241 du 1er mars 1999 rendu par la Cour d’appel d’Antananarivo (Décision n°01-HCC/D2 du 14 février 2001, Affaire Sarl Actual c/ Sipromad) ;
- d’un acte de poursuite pénale devant une juridiction de droit commun, pour un Premier ministre justiciable de la Haute cour de justice, et bénéficiant d’un privilège de juridiction (Décision n°02-HCC/D2 du 4 juillet 2003 relative à une exception d’inconstitutionnalité introduite par sieur Tantely Andrianarivo) ;
- de l’instruction de la poursuite pénale engagée devant la Chaîne pénale anti-corruption et le Pôle anti-corruption d’Antananarivo à l’endroit d’un ancien ministre, alors qu’il est justiciable devant la Haute cour de justice (Décision n°02-HCC/D2 du 23 août 2018 concernant une requête en exception d’inconstitutionnalité, Affaire Razafindravonona Jean et consorts)
Ainsi, contrairement à ce que la Décision n°01-HCC/D2 ignore, il existe une jurisprudence constante de la Haute Cour Constitutionnelle elle-même qui, en se fondant sur l’article 118 alinéa 2 de la Constitution, ou des dispositions constitutionnelles précédentes rédigées dans les mêmes termes, accepte et reconnaît une compétence étendue à la Haute Cour pour examiner dans une exception d’inconstitutionnalité tout acte juridique émanant des pouvoirs publics susceptible de porter atteinte à des droits constitutionnellement garantis.
Mais, au-delà de ces incertitudes liées à la définition sélective et inappropriée du champ d’application de l’exception d’inconstitutionnalité, la décision du 22 février soulève aussi des interrogations sur les retombées d’une telle approche concernant le rôle du juge constitutionnel dans la protection de l’État de droit et la garantie des droits garantis par la Constitution, comme l’est l’exception d’inconstitutionnalité.
Selon les enseignements de la théorie du droit constitutionnel, l’exception d’inconstitutionnalité poursuit deux objectifs étroitement liés :
- d’une part, assurer l’autorité de la Constitution lors d’un litige concret en écartant l’application, ou en neutralisant les effets produits par toute norme (législative, règlementaire ou juridictionnelle) contraire à la Constitution. L’exception d’inconstitutionnalité joue alors un rôle vital dans le maintien de la hiérarchie des normes. Ce mécanisme garantit que la Constitution, en tant que norme suprême, est respectée et que toutes les autres normes sont conformes à ses principes et valeurs ; et
- d’autre part, garantir aux citoyens la possibilité de faire valoir efficacement leurs droits constitutionnels. L’exception d’inconstitutionnalité offre aux justiciables un moyen direct de défendre leurs droits et libertés fondamentaux tels qu’ils sont consacrés dans la Constitution. Cela renforce la protection des droits individuels et assure que les citoyens ont un recours effectif en cas de violation de ces droits par l’application de normes inconstitutionnelles.
En excluant l’exception d’inconstitutionnalité d’un acte de procédure, la décision n°01-HCC/D2 du 22 février 2024 limite la portée de ce mécanisme, restreignant, notamment, la capacité des justiciables à invoquer l’inconstitutionnalité dans des contextes où des droits fondamentaux pourraient être en jeu, même dans le cadre d’une procédure juridictionnelle. Cette approche pourrait être vue comme une déviation de la fonction du juge constitutionnel en tant que garant de l’État de droit, en limitant la capacité de contrôle de la conformité des actes juridiques avec la Constitution.
Cette décision de la Haute Cour Constitutionnelle ouvre plusieurs conséquences concrètes sur la protection des droits constitutionnellement garantis et sur le rôle du juge constitutionnel.
La plus immédiate est le déni de justice qu’elle occasionne dans le traitement du procès pénal concernant le député Fetra Ralaizafimbololona, car la question de fond posée, celle du bénéfice de l’immunité parlementaire pour le requérant n’a pas été tranchée, alors que l’appréciation des modalités de sa mise en œuvre, qui nécessite l’interprétation de l’article 73 de la Constitution, ne peut être effectuée que par la Haute Cour Constitutionnelle. Le caractère indérogeable de la décision du 22 février 2024, condamne le traitement du contentieux pendant, dans une impasse. Que va faire le tribunal correctionnel d’Antananarivo, le 12 mars 2024 lorsqu’il aura à rendre sa sentence ? Se substituera-t-il à la Haute Cour Constitutionnelle dans l’appréciation des conditions et des modalités d’application de l’immunité parlementaire, alors que ce travail d’interprétation d’une disposition constitutionnelle n’est pas de son ressort, ou prendra-t-il une décision qui fera fi de la question de l’immunité parlementaire, au risque d’administrer la justice de manière partiale ?
Une autre conséquence de la situation se vérifie dans l’affaiblissement de la protection des doits constitutionnels. Si la Haute Cour Constitutionnelle prend des décisions qui ne préservent pas adéquatement les droits garantis par la constitution, cela affaiblira irrémédiablement la protection de ces droits. Enfin, Le juge constitutionnel est censé être le gardien de la constitution. S’il ne remplit pas ce rôle de manière adéquate, cela peut changer la perception de son rôle, affaiblir son autorité et remettre en question son indépendance et son impartialité.
- Interprétation constitutionnelle, au cœur de l’office du juge constitutionnel dans l’exception d’inconstitutionnalité
La théorie du droit constitutionnel reconnaît unanimement la spécificité de la Constitution, en tant que norme juridique. La spécificité de la Constitution réside dans sa composition, qui se compose de principes dont le contenu prescriptif et la portée sont définis et précisés par l’interprétation du juge constitutionnel. L’interprétation constitutionnelle, dès lors, confère aux dispositions constitutionnelles leurs effets concrets et donne vie à la Constitution. Elle permet également d’assurer une cohérence au dispositif constitutionnel, garantissant ainsi la cohésion de l’ensemble de l’ordonnancement juridique. C’est en ce sens que se définit l’office du juge constitutionnel.
Le juge constitutionnel a le devoir d’interpréter systématiquement la Constitution dans diverses situations. Ces situations incluent notamment :
le contrôle obligatoire de la conformité des Lois organiques, des lois simples ou des ordonnances à la Constitution avant leur promulgation, conformément à l’article 117 de la Constitution ;
- le contrôle de constitutionnalité de « tout texte à valeur législative ou réglementaire ainsi que toutes matières relevant de sa compétence », initié par un chef d’institution ou du quart des membres composant l’une des Assemblées parlementaires ou des organes des collectivités territoriales décentralisées ou le Haut Conseil pour la Défense de la Démocratie et de l’Etat de droit, comme stipulé dans l’article 118 alinéa 1er de la Constitution ;
- le contrôle a posteriori basé sur une exception d’inconstitutionnalité, selon l’article 118 alinéas 2 et 3 de la Constitution) ;et
- la « demande d’avis sur la constitutionnalité de tout projet d’acte ou sur l’interprétation d’une disposition de la Constitution », sollicitée par « tout chef d’Institution et tout organe des collectivités territoriales décentralisées », prévue par l’article 119 de la Constitution.
Dans chacun de ces contextes, la Haute Cour Constitutionnelle procède à une interprétation indifférenciée de la Constitution. Car, de façon générique l’interprétation est au cœur de la fonction de juger ;mais elle l’est davantage, en matière constitutionnelle, en raison de la nature de la norme constitutionnelle comme il est évoqué précédemment. L’interprétation est essentielle, tant pour comprendre la norme constitutionnelle que pour déterminer son application concrète.
En raison de l’importance de l’interprétation en matière constitutionnelle, l’affirmation par la Haute Cour Constitutionnelle selon laquelle la demande d’exception d’inconstitutionnalité peut être assimilée à une demande d’avis simplement parce qu’elle implique une interprétation constitutionnelle n’est pas pertinente. Cette approche apparaît comme une ruse argumentative, un prétexte et une fausse raison visant à contourner le vrai motif de sa décision ; ou comme une échappatoire pour éluder la question et répondre à côté. Bref, comme un procédé d’une argumentation d’autorité qui peine à dissimuler la faiblesse de l’argument.
En tout état de cause, il convient de souligner que l’assimilation de la demande d’exception d’inconstitutionnalité (article 118 al. 2 et 3 de la Constitution) à un avis d’interprétation constitutionnelle dans une procédure consultative (article 119 de la Constitution) n’est raisonnablement pas appropriée. Ces deux procédures de contrôle de conformité à la Constitution sont fondamentalement différentes. L’exception d’inconstitutionnalité ne peut avoir lieu, de manière incidente, qu’à l’occasion d’un procès devant une juridiction quel que soit son statut. Il s’agit d’un contrôle dit « concret », engagé dans un « cas concret » et des « litiges particuliers » où l’une des parties au procès soutient que l’une des normes dont dépend l’issue du litige pendant devant le juge de fond, porte atteinte à ses droits garantis par la Constitution. Elle réclame que ses droits constitutionnels soient appliqués dans la résolution du litige le concernant. Dans la situation concernée par la Décision n°01-HCC/D2 du 22 février 2024, le député Fetra Ralambozafimbololona conteste les conditions de son arrestation en invoquant le non-respect de l’immunité parlementaire, un droit garanti par la Constitution, dont il réclame le bénéfice. L’exception d’inconstitutionnalité qu’il soulève tend à prendre en considération ce droit constitutionnel dans l’appréciation de l’infraction pénale qui lui est reprochée et qui constituerait la base légale de son procès devant le tribunal correctionnel d’Antananarivo.
En revanche, la procédure consultative de l’article 109 de la Constitution est un contrôle abstrait, indépendant de tout litige concret. Cette procédure ne concerne pas la résolution d’un litige mais plutôt une évaluation générale de la constitutionnalité. Selon la Haute Cour Constitutionnelle cette procédure correspondrait mieux à la requête du député, celle-ci étant formulée, soutient-elle, comme une demande d’avis d’interprétation constitutionnelle. Or, les circonstances de l’affaire concernée par la décision ne correspondent aucunement avec la procédure consultative. L’exception d’inconstitutionnalité soulevée par le député Fetra Ralambozafimbololona au cours d’un procès, ne peut être assimilée à une demande d’avis d’interprétation constitutionnelle qui s’inscrit en dehors de tout contentieux judiciaire. Les deux procédures sont d’une nature différente, des finalités distinctes que tout amalgame d’une situation à une autre, comme la Haute Cour Constitutionnelle l’effectue, ne peut trouver aucun ancrage explicatif pour le justifier. Elles ne doivent pas être confondues.
Bien que la distinction entre les procédures d’exception d’inconstitutionnalité et de consultation pour interprétation constitutionnelle soit fondamentale, il est important de prendre en compte les motivations et les contextes potentiels qui pourraient influencer les décisions de la Haute Cour Constitutionnelle. Ceux-ci, malheureusement, ne transparaissent aucunement dans la décision de la Haute Cour. Néanmoins, il est impératif pour la Haute Cour de maintenir la rigueur de son analyse juridique et de respecter scrupuleusement les distinctions procédurales établies par la Constitution. Cette rigueur est indispensable pour préserver l’intégrité du droit constitutionnel et garantir la protection des droits fondamentaux.
La jurisprudence d’une juridiction constitutionnelle peut définir des seuils qui caractérisent son office et délimitent son périmètre d’intervention. Dans le cas de la Haute Cour Constitutionnelle, ce champ est circonscrit entre un seuil maximal, selon lequel le juge constitutionnel bénéficie d’une compétence d’attribution définie et limitée par la Constitution, et des seuils minimaux incarnés par le « principe de non-régression des valeurs constitutionnelles et celui du non-retour sur l’acquis juridique de l’Etat de droit démocratique », que la Haute Cour Constitutionnelle a dégagés de manière prétorienne dans son Avis n°02-HCC/AV du 13 juin 2015.
Cependant, l’analyse de la décision n°01-HCC/D2 du 22 février 2024 révèle que ces seuils sont mis à mal. En s’émancipant, notamment des seuils minimaux, la Haute Cour Constitutionnelle affaiblit et fragilise sa fonction de garant de l’Etat de droit et des droits fondamentaux, qui constitue en réalité le noyau irréductible de ses fonctions et de sa raison d’être.
Il est donc essentiel que la Haute Cour Constitutionnelle clarifie sa position et réaffirme son engagement en faveur de la protection des droits constitutionnels. Elle doit veiller à ce que son interprétation des textes soit guidée par une approche cohérente et respectueuse des principes fondamentaux de l’Etat de droit démocratique. C’est seulement ainsi qu’elle pourra remplir pleinement son rôle de garant de la Constitution et préserver la confiance des citoyens dans l’institution judiciaire.
Ilaibaloda