La police thaïlandaise vient d’arrêter six individus liés à un trafic d’espèces protégées en provenance de Madagascar. Au total, 48 lémuriens et plus de 1000 tortues radiata ont été découvertes dans un hôtel du district de Muang.
La conférence de presse tenue conjointement par les autorités thaïlandaises et le United States Fish and Wildlife Service a fait ressortir que ces activités illégales sont imputables à un vaste réseau international impliquant l’Afrique, l’Asie et l’Amérique du Sud. En face de ce réseau, les autorités thaïlandaises ont donc reçu la coopération active du service de la pêche et de la faune des États-Unis, mais aussi de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime. Quant à ce qui les concerne, les autorités malgaches sont-elles seulement motivées par de tels sujets ? Elles semblent en être encore aux débuts de la sensibilisation.
Sur ce point, il y a encore beaucoup à faire dans toutes les strates de l’État, car les autorités sont souvent promptes à vêtir les habits de la souveraineté outragée et à s’indigner que les ONG internationales ou la société civile malgache puissent se poser en donneurs de leçons. Dans bien des cas, les autorités en arrivent même à soupçonner, derrière les alertes et dénonciations, des motivations politiques ou des tentatives de déstabilisation et à traiter les défenseurs de l’environnement en ennemis de la Nation.
Vigilance à géométrie variable
Cette énième affaire ne peut, une fois encore, que jeter le discrédit sur les autorités malgaches. La question se pose et s’impose : ce genre de trafic peut-il avoir lieu sans une longue chaîne de corruption et la protection des autorités ?
On rappelle, entre plusieurs exemples possibles, l’affaire des 73,5 kg d’or interceptés en Afrique du Sud le 31 décembre 2020, ou encore la cargaison de 640 tonnes de bois de rose interceptée au Kenya en 2014. La comparaison des volumes d’or exportés officiellement par Madagascar avec les volumes d’or importés officiellement par les Émirats arabes unis en provenance de Madagascar laisse également perplexe sur certaines années. Selon le rapport EITI Madagascar 2022, Madagascar a exporté officiellement 535 kg d’or pour une valeur de 16 millions de dollars en 2016. Toutefois, les statistiques officielles de l’OEC indiquent que pour la même année, Dubaï a importé pour 150 millions de dollars en provenance de Madagascar. D’après nos confrères de Radio France Internationale, « depuis 2021, au moins 110 kilos d’or sortis illégalement du territoire ont été interceptés à l’étranger ».
Toutes ces affaires soulignent donc que les services de douanes malgaches et les services chargés de la sécurité aux ports et aéroports ont une tendance à jouer la passoire pour les affaires d’envergure, mais en font des tonnes en matière de communication lorsqu’ils attrapent les petits poissons à l’aéroport d’Ivato. Pour les gros, il faut attendre que les douanes à l’étranger effectuent le travail. Entre parenthèses, cela est aussi vrai dans le monde de la Justice. Alors que ce genre de pratique est invisible des enquêteurs à Madagascar, il a fallu que ce soit la justice britannique qui se saisisse d’une affaire impliquant Romy Voos Andrianarisoa, ancienne directrice de cabinet du Président de la République, pour que les mœurs invisibles de corruption en haut lieu soient placées en pleine lumière.
La vigilance et la sévérité des autorités malgaches sont donc à géométrie variable. On se souvient du curieux récent zèle de la Justice contre Olga Ramalason, candidate aux législatives, pour une affaire remontant à 2009. Pourtant, on n’a aucune nouvelle de la suite donnée aux révélations de l’implication de l’ancien ministre de la Justice Herilaza Imbiki dans une affaire de racket (2022), révélations qui ne l’empêchent pas d’être candidat aux prochaines élections législatives sous l’étiquette “Isika rehetra miaraka amin’i Andry Rajoelina” (IRMAR). Tout comme l’on se demande si l’enquête sur l’affaire impliquant l’ancien ministre de l’Intérieur Tinarivelo Razafimahefa au sujet d’un achat d’écrans plats (2020) n’a pas fini en queue de (gros) poisson. Tout comme l’on se demande quel est le fin mot sur les 200 millions d’ariary trouvés dans le coffre de la députée Lanto Rakotomanga (2015), alors que son interception rocambolesque digne des séries B avait été diffusée en live sur les réseaux sociaux et ne l’empêche pas d’être candidate en 2024 aux législatives dans le 3ème arrondissement d’Antananarivo, également sous l’étiquette IRMAR.
Les exemples pourraient être multipliés, mais la conclusion serait la même : les dossiers polémiques impliquant les copains du pouvoir et ses coquins sont la plupart du temps couverts et semblent rester sans suite. Du moins jusqu’à ce que l’opposition n’arrive à Iavoloha et ne les exhume alors avec délectation. En attendant, comme le rappellent les cas de Mbola Rajaonah ou de Lola Rasoamaharo, ce sont les personnalités proches de l’opposition qui se retrouvent dans l’œil du cyclone anticorruption agité comme un épouvantail. Mais à propos d’œil, cette vigilance à géométrie variable souligne une justice borgne, et donc un État de droit plutôt tordu.