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Le Journal de l'île Rouge
La une

65 ans d’indépendance à Madagascar : entre célébrations officielles et désillusion populaire.

La gazette de la grande île
02/06/20255 minute read

À l’occasion du 65e anniversaire de l’indépendance de Madagascar, le président de la République a promis une “célébration grandiose”. Il a précisé que les festivités, en tout cas les cérémonies officielles, auraient lieu dans un lieu différent des sites habituels. Il a notamment indiqué que les feux d’artifice seraient tirés depuis le parc du Lac Iarivo, un projet encore en chantier, dont il a promis l’achèvement d’une première phase avant le 26 juin.

Les autorités malgaches déploient un grand décor : une marche dans le centre-ville, l’inauguration d’une stèle commémorative sur l’avenue de l’Indépendance, des défilés militaires, des concerts, des cérémonies officielles… Un agenda festif rythmé par des discours appelant à l’unité nationale et à la fierté retrouvée. Mais derrière ces images de célébration, un malaise profond persiste. Et une question revient dans toutes les conversations : Madagascar est-il réellement indépendant ?

Une indépendance de façade ?

Officiellement indépendante depuis 1960, la Grande Île semble encore, pour beaucoup de ses citoyens, vivre sous le poids de dépendances multiples : politiques, économiques, voire symboliques. Si la souveraineté nationale est inscrite dans la Constitution, son application réelle suscite des doutes, notamment dans un contexte où l’État de droit, la transparence et la redevabilité du pouvoir sont régulièrement remis en cause.

Mais 65 ans plus tard, que reste-t-il de cette souveraineté ? Les décisions publiques semblent de plus en plus déconnectées de la volonté populaire. Le peuple malgache a-t-il vraiment son mot à dire sur l’avenir du pays ? Ou n’est-il qu’un simple spectateur d’un théâtre politique verrouillé par une élite au service de ses propres intérêts ?

L’actuel président, régulièrement critiqué pour son exercice personnalisé du pouvoir, est également au cœur de controverses liées à sa double nationalité française. Une situation inédite et politiquement sensible dans un pays dont l’histoire coloniale demeure une blessure ouverte.

Fête nationale, outil politique ?

Dans un contexte de pauvreté généralisée — plus de 80 % de la population vit avec moins de 2 dollars par jour —, ces célébrations fastueuses suscitent l’incompréhension. Pour nombre d’observateurs, elles apparaissent comme un écran de fumée destiné à détourner l’attention de l’opinion publique.

“On amuse le peuple pendant que les ressources sont dilapidées”, souffle un enseignant à Antananarivo, amer face à ce qu’il qualifie de mise en scène.

Organiser des fêtes nationales grandioses est devenu un outil classique de diversion : panem et circenses — du pain et des jeux — pour détourner l’attention d’un peuple accablé par la misère. Les dépenses engagées pour ces festivités contrastent crûment avec l’état des infrastructures de base : hôpitaux sous-équipés, routes délabrées, établissements scolaires précaires. L’écart entre les moyens mobilisés pour la fête et les réalités quotidiennes alimente un sentiment d’injustice.

Un anniversaire amer. Car célébrer l’indépendance dans un tel contexte relève de l’hypocrisie. L’indépendance n’est pas une date sur un calendrier, mais une réalité vécue. Et cette réalité, pour la majorité des Malgaches, reste marquée par la dépendance, l’exclusion et le mépris.

Un pouvoir fortement centralisé

Le fonctionnement de l’État est également critiqué. L’accusation d’un style de gouvernance autoritaire, voire féodal, revient régulièrement. Le régime actuel évoque davantage une monarchie autoritaire qu’un État de droit. L’État, confondu avec la personne du chef, fonctionne au bon vouloir d’un seul homme. La loi, c’est lui. Les contre-pouvoirs sont réduits au silence, les institutions affaiblies, les journalistes menacés, et les opposants diabolisés.

Les institutions, bien qu’existantes, peinent à jouer leur rôle. Dans de nombreux dossiers, la parole présidentielle fait office de loi, et les décisions majeures sont prises dans l’opacité. Les critiques ne viennent pas seulement de l’opposition. Des voix issues de la société civile, du milieu académique ou de l’administration alertent sur une dérive vers une centralisation excessive du pouvoir.

Une majorité en attente de rupture

Dans ce climat, la majorité des Malgaches exprime de plus en plus ouvertement sa lassitude face à ce qu’elle perçoit comme une confiscation du rêve d’indépendance. Nombre d’entre eux, surtout les jeunes, ne se reconnaissent ni dans les discours officiels ni dans les pratiques politiques actuelles.

Certes, les feux d’artifice illumineront le ciel du Lac Iarivo, mais une autre lumière doit naître : celle de la conscience collective, du refus de la manipulation, et de la réappropriation de la souveraineté populaire.

Car une vraie indépendance ne se fête pas : elle se vit. Elle doit être concrétisée par des politiques publiques au service de la majorité — et non d’une minorité.

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