La politique prônée par les institutions de Bretton Woods imposait jusqu’ici le démantèlement des monopoles d’Etat comme la Solima, conditionnant leur appui aux privatisations.
La Banque Mondiale semble tourner le dos à cette politique et ne rechigne plus à financer un monopole d’Etat comme Madagascar Airlines. Elle aurait débloqué une 1ère tranche de 25 millions de dollars pour le redressement de cette compagnie.
Dans un interview donné par Thierry de Bailleul au journal Jeune Afrique, ce dernier précisait qu’un des prérequis de la Banque Mondiale est le retour à l’équilibre. Ce qui suppose selon lui le maintien du monopole sur les vols intérieurs car « Introduire des opérateurs privés équivaudrait à une mise à mort » !
La présidente de la Confédération du tourisme avait demandé, à juste titre, la mise en concurrence des vols intérieurs. Madagascar Airlines espère disposer en mai 2025 de 6 ATR (le nombre d’avions opérationnels de Tsaradia en 2018). Peut-être !
Déjà en 2018, en plus des 6 ATR de Madagascar Airlines, la défunte Madagascar Airways possédait 2 Embraer EMB 120 qui étaient les bienvenus pour les passagers.
En plus des vols intérieurs, Madagascar Airways effectuait quelques vols de l’aéroport réunionnais Pierrefonds vers Madagascar. Mais dès l’accession à la présidence de Rajoelina, Madagascar Airways a dû plier bagages et fermer. Leur grand tort, c’était d’avoir comme patron le frère jumeau Manankasina d’Andry Raobelina qui fut conseiller spécial de Rajaonarimampianina.
A l’image de ce que le régime Rajoelina a fait Canal 7 Events/Plaza Ampefiloha en octobre 2023.
Monopole de Madagascar Airlines
Thierry de Bailleul estime fondamental, pour la réussite de son plan Phoenix, le maintien du monopole de Madagascar Airlines sur les vols intérieurs, sous-entendant d’ailleurs que c’est l’existence d’une concurrence acharnée sur les vols internationaux qui serait à l’origine des déboires d’Air Madagascar/Tsaradia.
On comprend ses inquiétudes, quant à l’arrivée éventuelle de concurrents privés sur les vols intérieurs, qui risquent d’être plus efficaces que Madagascar Airlines. On le comprend à la lecture de son parcours professionnel. Il se décrit avoir été l’un des 4 dirigeants de Qatar Airways. Ceux qui le connaissent rigolent à l’avance des réactions de Qatar Airways, s’ils ont connaissance de cette affirmation.
De toutes manières, si c’était un si bon « dirigeant », Qatar Airways aurait fait des pieds et des mains pour le garder. A moins qu’une autre grande compagnie aérienne ne se fut disputé ses services, ce qui n’a pas été le cas. Il a atterri dans une petite société cde commercialisation de vins Gérard Bertrand, dont le chiffre d’affaires était de 151 millions d’euros en 2022.
On comprend qu’il ait sauté sur l’occasion offerte à lui de rejoindre Madagascar Airlines, avec un salaire annuel de 2 milliards ariary, l’équivalent de 427 000 euros soit mensuellement environ 35 000 euros, certainement beaucoup plus que ce qu’il gagnait chez le groupe Gérard Bertrand. Sans parler des avantages en nature pour lui-même et sa famille, selon toujours l’ancienne PCA Rinah Rakotomanga.
Thierry de Bailleul a eu la franchise d’avouer qu’il n’était pas préparé à son nouveau poste où « il doit gérer toutes les problématiques, les finances, la sécurité, faire face aux syndicats de pilotes comme à ceux du personnel au sol. Sans oublier de concilier l’intérêt politique du gouvernement et les intérêts économiques de l’entreprise« . Pour faire court, il est en train d’apprendre son nouveau job et se fait la main sur Madagascar Airlines.
On comprend maintenant qu’il ait eu besoin de s’entourer de 4 experts payés à 1 500 euros par jour, et tout ça pour essayer de faire voler deux malheureux ATR. Au lieu de s’appuyer sur l’expertise du personnel de Madagascar Airlines !
Résultats : des opérateurs touristiques furieux des annulations de vols sans préavis, des passagers en colère manquant leurs correspondances sur des compagnies étrangères et perdant leurs billets sans compensation aucune, notamment à Tuléar.
Certes Rinah n’est pas une lumière concernant la gestion d’une compagnie aérienne, mais Thierry de Bailleul ne l’est pas non plus. Mais il est vrai qu’il a eu au moins l’intelligence de reconnaître ses insuffisances et d’avoir fait appel à des experts, qui à notre humble avis ne manquent pas parmi le personnel. Pour autant qu’on daigne leur faire confiance et leur accorder les moyens.
Seulement, entre Vazaha ils se comprennent et se soutiennent, et gageons que ce Monsieur gardera sa place tant que Rajoelina est là, vu son complexe vis-à-vis des intellectuels malagasy.
Ci-dessous l’interview accordé à Jeune Afrique : ICI
L’Embraer qui n’arrivera jamais
« Madagascar Airlines : « Il n’y aura pas de liaison Paris-Tana avant 2026 »
Avec le soutien de la Banque mondiale, Thierry de Bailleul a entamé une thérapie de choc pour relancer le pavillon malgache. Le DG de la compagnie aérienne livre les détails de son plan stratégique à Jeune Afrique.
Le 6 novembre 2023, acculé par les déficits et l’endettement, Madagascar Airlines suspendait ses liaisons moyen et long courrier. Une thérapie de choc – baptisée « plan Phoenix » – destinée à sauver une compagnie née en 1962, déjà fortement secouée en octobre 2021, quand Air Madagascar et sa filiale domestique Tsaradia avaient laissé la place à une nouvelle entité. Près de cinq mois plus tard, son directeur général, Thierry de Bailleul, se montre confiant dans son projet. Mais prévient que la convalescence sera longue.
Jeune Afrique : Avez-vous une visibilité quant à la date de reprise du long courrier ?
Thierry de Bailleul : Je pense qu’il faut d’abord replacer le contexte, car une telle décision n’a évidemment pas été prise à la légère. Elle est le résultat de 18 mois de choix stratégiques que je qualifierais d’erratiques, qui nous ont menés au bord de la cessation de paiement. Nous volions sur des appareils loués, avec des équipages loués, alors que nous avons un personnel compétent. Sur ces 18 mois, nous avons perdu 40 millions de dollars et creusé l’endettement de 43 millions de dollars.
Nous étions arrivés à un niveau de trésorerie tel que nous n’avions même plus les fonds nécessaires aux programmes de maintenance de nos ATR. Nous avons dû les clouer au sol les uns après les autres, certains se transformant en réservoirs de pièces détachées. De six ATR, nous sommes descendus jusqu’à deux… Inévitablement, les retards et annulations se sont multipliés. C’était un cercle vicieux.
Il était impossible de continuer de cette manière, mais l’ancien conseil d’administration s’est longtemps entêté. Jusqu’à ce que le gouvernement décide un changement de gouvernance et accepte le plan de redressement que je proposais depuis plusieurs mois, qui préconisait un recentrage sur le domestique.
Nous avons tous les atouts pour réussir un retour à l’équilibre en 2025.
À combien se chiffre ce plan, et quel est le montant du soutien accordé par la Banque mondiale ?
Le plan Phoenix est estimé entre 57 et 60 millions de dollars, selon les scénarios de flotte que nous choisirons. Il est intégralement financé sur cinq ans par la Banque mondiale, dans la mesure où nous restons d’accord sur les conditions stratégiques. 25 millions de dollars ont déjà été budgétés cette année pour amorcer le plan lui-même, et vers juillet ou août, nous aurons sans doute l’annonce d’une nouvelle tranche pour l’année prochaine.
Comment expliquer un soutien aussi fort de la part d’une institution internationale à une compagnie aérienne, qui plus est déficitaire ?
La Banque mondiale considère que le développement de Madagascar passe par une renaissance de la compagnie nationale, étant donné la structure du pays, les distances, le mauvais état des routes, l’enjeu économique et touristique…
Mais le prérequis à son soutien, c’est un retour à la rentabilité sur le réseau domestique, qui doit être atteint avant d’envisager une sortie sur l’international.
Le réseau domestique peut-il vraiment être rentable ? Si oui, à quel horizon ?
Oui. Sur ce réseau, nous exploitons des ATR à turbopropulseurs, moins chers et moins gourmands en carburant que des avions à réaction. De plus, nous sommes en situation de monopole, la route et le train n’étant pas vraiment des concurrents. Nous avons donc tous les atouts pour réussir un retour à l’équilibre en 2025. Il ne faut néanmoins pas espérer de positif en 2024, ce ne sera pas possible.
Cela signifie-t-il qu’il n’y aura pas de retour du Paris-Tana avant 2025 ?
Comme la condition est d’abord le retour à l’équilibre, et qu’il faut un an pour lancer des vols long courrier dans de bonnes conditions, je dirais plutôt pas avant avril 2026. Et c’est un objectif, pas une annonce.
Vous venez d’obtenir une garantie d’État pour la location de deux ATR. Où en êtes-vous en matière de flotte ?
Les annonces sont peut-être prématurées. La garantie souveraine que nous avons obtenue faisait partie de la négociation, mais celle-ci n’est pas achevée. Si le contrat est conclu, les deux avions arriveront en juillet pour l’un et en septembre pour l’autre. Malheureusement, nous n’avons actuellement que deux avions actifs pour nos dix destinations. Un troisième reviendra de maintenance fin mai. Nous espérons en avoir six d’ici à mai 2025.
Quels sont les autres volets du plan de relance ?
Avec les nouveaux avions, nous aurons plus de fréquences et moins de retards. Mais il nous faut aussi améliorer notre qualité perçue, c’est-à-dire notre image. Cela passera par la rénovation de nos agences, par de nouveaux uniformes pour le personnel, par la modernisation du site internet, etc.
La digitalisation est incontournable. En matière technologique, nous ferons un bond des années 1990 aux années 2020, et ce dans toutes les branches d’activité de l’entreprise. Cela comprend notre réintégration, actée courant mars, au BSP [Billing and Settlement Plan, un programme de l’Association internationale des transporteurs aériens, la Iata]. C’est ce qui vous permet d’être visible auprès des agences de voyage, et donc commercialisé par elles. Nous pouvons espérer avec cela un bond de 50 % à 60 % de nos recettes.
Le plan a-t-il des implications en matière de ressources humaines ?
Nous avons conservé nos effectifs pendant toute la période Covid, et même post-Covid. Seules les embauches ont été gelées. Il n’y a pas eu de plan de licenciement, même au moment du lancement de Madagascar Airlines, alors qu’Air Madagascar et Tsaradia sont tombés en règlement judiciaire. Il n’y a eu qu’une centaine de départs volontaires, sur un millier d’employés, et c’était peut-être une erreur stratégique.
Madagascar Airlines a été tellement malmené qu’introduire des opérateurs privés équivaudrait à une mise à mort.
Aujourd’hui, sans activité long courrier et avec une activité de deux à trois ATR, ou même six, on est clairement en sureffectif. Mais nous tenons à éviter les compressions violentes de personnel. Nous privilégierons une diminution progressive des effectifs, sur la base du volontariat. Nous avons désormais les ressources pour proposer des conditions de départ dans un climat apaisé, en conservant bien sûr un pool de compétences essentielles. Nous allons même recruter dans la maintenance, où nous avons un très bon niveau, mais où beaucoup de mécaniciens vont partir à la retraite dans les cinq à dix prochaines années.
En septembre 2023, dans nos colonnes, la présidente de la Confédération du tourisme de Madagascar demandait la mise en concurrence des vols intérieurs. Comment réagissez-vous à cette prise de position ?
On a le droit de ne pas être d’accord. J’ai un point de vue radicalement opposé, vous vous en doutez. Madagascar Airlines a été tellement malmené dans les précédentes années qu’introduire des opérateurs privés équivaudrait à une mise à mort.
Cette prise de position a eu lieu à une période particulièrement difficile pour nous, avant l’intervention de la Banque mondiale. Les choses se mettant en place, j’ose croire qu’ils ont un peu changé leur fusil d’épaule. Si ce qu’ils veulent, c’est, comme nous, plus de mobilité au sein du pays à des tarifs corrects, je leur suggèrerais de se battre pour les prix du carburant plutôt que pour la multiplicité des acteurs : le carburant d’aviation est environ 30 % plus cher à Madagascar que dans le reste de l’océan Indien.
Quelle est votre position quant à l’ouverture du ciel malgache à l’international, alors que vous n’êtes pas sur ce terrain ?
Là encore, j’estime que la libération des droits aériens est un faux problème : même si vous faites un ciel ouvert à Madagascar, ça ne veut absolument pas dire que les transporteurs internationaux viendront. Le développement du trafic aérien est un élément essentiel de l’attractivité, mais ce n’est pas le seul. Les opérateurs regarderont aussi la capacité hôtelière du pays, ses infrastructures…
Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas de potentiel à exploiter dès à présent, notamment en termes de vols directs entre Madagascar et l’Europe. Tant que nous n’avons pas nos propres longs courriers, nous nous efforcerons de travailler sur les temps de correspondance entre l’arrivée du long courrier et le départ vers la destination finale, avec des accords commerciaux ciblés.
Vous disposez d’un accord de partage de code avec Corsair, qui vous permet d’attribuer des numéros de vol Madagascar Airlines entre Antananarivo et Paris, via La Réunion. Avez-vous obtenu en retour un accord relatif aux liaisons domestiques avec cette compagnie ?
Non, c’était compliqué tant que nous n’avions pas réintégré les instances de la Iata, ce qui vient d’être fait. Maintenant, nous allons étudier les compagnies une par une et rechercher les meilleurs partenariats possibles. Car pour qu’ils soient forts, il ne faut pas qu’il y en ait 50. Nous n’aurons, par exemple, qu’un seul partenaire dans la région du Golfe, et pour l’instant, c’est avec Emirates que les discussions sont le plus avancées.
La question se posera-t-elle pour la France, entre d’un côté, Corsair, qui est déjà votre partenaire sur le Paris-Tana, et Air France, qui dispose d’une puissance de feu supérieure ?
Il y aura clairement des choix à faire cette année. La France a tellement de potentiel que l’option d’avoir deux partenaires n’est pas écartée, pas plus qu’un partenariat très fort avec un seul acteur.
Concernant votre trajectoire personnelle, vous êtes passé de cadre dirigeant d’Emirates puis de Qatar Airways, dont vous avez occupé la vice-présidence pour l’Europe, à la direction générale d’une compagnie bien plus modeste. Comment vivez-vous ce changement ?
Quand vous êtes l’un des quatre dirigeants de Qatar Airways, vous avez un périmètre, mais pas tous les leviers. La direction générale est un tout autre métier, même dans une entreprise de petite taille. Vous devez gérer toutes les problématiques, les finances, la sécurité, faire face aux syndicats de pilotes comme à ceux du personnel au sol. Dans une compagnie nationale, il faut aussi faire concilier l’intérêt politique du gouvernement et les intérêts économiques de l’entreprise.
C’est une responsabilité qui demande résilience, diplomatie, fermeté, courage et patience. Dans le cas particulier de Madagascar Airlines, il y a en plus cet énorme challenge que constitue l’accord avec la Banque mondiale, une institution que je n’avais jamais côtoyée dans mes expériences précédentes. C’est incontestablement la période la plus riche de ma carrière, parce que la plus diverse et, quelque part, la plus risquée. »
L’ancien DG d’Air Madagascar Haja Raelison, triste et résigné, qui pourrait pourtant en apprendre un rayon à Thierry de Bailleul, ne doit même pas gagner la moitié de ceux que gagnent les experts copains du DG.
Fera-t-il partie de la charrette, pour ne pas faire de l’ombre au patron vazaha ?